Notre guide nous emmène dans les ruelles d'Erriadh
La légende raconte qu’un beau jour, quelques génies bienfaisants ont détaché une oasis entière du Sahara pour la déposer au large des côtes, en pleine mer. Leur but : créer un véritable petit paradis terrestre en Méditerranée. Plus tard, bien plus tard, de retour de la Guerre de Troie, Ulysse et ses compagnons abordèrent les rives de Djerba et en oublièrent qu’ils étaient en route pour rentrer dans leurs foyers…
Atelier d'un artiste
Selon « L’Odyssée », en effet, Djerba aurait alors été l’île de ces étranges mangeurs de lotos: les « lotophages ». Ceux-ci étaient réputés friands de lotos, ces fruits mystérieux dont certaines pensent aujourd’hui qu’il s’agissait tout simplement des… dattes.
Joli portrait de femme berbère
En tout cas, les lotos étaient tellement délicieux que ceux qui en avaient mangé ne voulaient plus quitter l’île. Histoire ou légende, allez savoir… L’ile compte plus d’un million et demi de palmiers. C’est en pénétrant ces paysages que l’on apprend à mieux connaître l’île…Il y a la Djerba des touristes, confinée sur une toute petite partie de l’île. Et il y a l’autre Djerba…Celui que je m’empresse de découvrir loin des sentiers battus.
Loin des vastes complexes hôteliers de la côte et aussi loin des circuits touristiques comme la visite de l’éternelle Ghriba, la synagogue la plus ancienne d’Afrique, il y a un petit village, musée à ciel ouvert sur l’art urbain que peu de touristes connaissent. Erriadh n'était qu'un point de passage sans grand intérêt sur la route de la Ghriba.
Des calligraphies arabes parent les murs de chaux, des visages ornent les portes, des fenêtres en trompe l’œil apparaissent ici et là et les cahutes se voient surmontées d’une pieuvre, d’une planète ou d’un igloo peints à la bombe… de rosaces de lettres assorties aux couleurs des bougainvilliers, d'animaux réels ou mythiques et de peintures monumentales.
Les bougainvilliers dans les ruelles sont magnifiques
Il y a 250 œuvres créées pour l'occasion. Elles sont lancées par la Galerie Itinerrance de Paris en juin 2014. Le nom de l'événement, Djerbahood, s'impose spontanément aux organisateurs à la suite de l'installation des lettres The Hood (terme anglais très familier, parfois utilisé pour désigner un quartier) par Rodolphe Cintorino à l'entrée du village tunisien d’Erriadh sur l'île de Djerba autrefois appelé Hara Sghira, soit « petit quartier » en arabe.
Sympa la 404 Peugeot camionnette
Les 250 œuvres réalisées par les artistes participant au projet mobilisent plus de 4 500 bombes de peinture et regroupent à la fois des œuvres individuelles et des collaborations. À ciel ouvert, Djerbahood est une expérimentation de ce que pourrait être un musée du mouvement street art: conçu dans le respect des normes muséales classiques avec une lumière, une scénographie et un parcours, il se démarque des festivals d'art urbain.
Une petite fille juive et un monsieur musulman....
Selon le quotidien tunisien "Le Temps", il s'agit d'une aventure artistique unique dans l'univers de l'art urbain, un mouvement « en effervescence dans un pays en devenir » selon le fondateur de Djerbahood et directeur de la Galerie Itinerrance de Paris.
Choisi pour son architecture traditionnelle, le village d’Erriadh bénéficie grâce à la manifestation d’un tourisme, une mise en lumière bénéfique pour l'île, qui souffre après la révolution de 2011 (appelé la révolution du jasmin) d’une gestion désorganisée du ramassage des ordures. Le projet est également une aventure humaine qui conduit à des rencontres entre artistes et habitants.
Fresque de Liliwenn une artiste peintre brestoise
Le fondateur qui réussit à convaincre les habitants et les commerçants « d'offrir » leurs murs aux différents artistes, évoque un évènement historique pour l’île. Les quelques habitants réticents au départ interpellent finalement pour beaucoup les artistes et l'équipe d'Itinerrance pour avoir eux aussi des œuvres sur leur maison. Les artisans locaux prêtent main-forte pour des installations ou fournir du matériel.
La mythique 2CV
Une petite centaine d'artistes de 30 nationalités (Brésil, Etats Unis, Espagne, Japon, Chine, Maroc, Arabie Saoudite, Australie, Royaume-Uni et d’autres contrées) différentes participent à l'évènement, parmi lesquels Add Fuel, Aya Tarek, C215...
... El Seed, Fintan Magee, Jace, Pantonio, Phlegm, Roa, Swoon, TwoOne, Malakkai, Jaz, Pum Pum, Dan23, M-City, BToy, Zepha, Orticanoodles ou encore Julien Malland, Aka Seth, un artiste urbain français, médiatisé notamment à travers ses participations à plusieurs épisodes de l'émission Les Nouveaux Explorateurs.
L'événement est très largement couvert par la presse, avec plusieurs centaines d'articles en l'espace de quelques mois dans plus de 70 pays différents, notamment The New York Times, The Guardians, Le Monde, Liberation, le Huffington Post, La Republica, Vogue Italia, Al Jazeera, BBC News, ou France Inter. Je dois pourtant bien l’avouer, je n’en avais jamais entendu parler avant !
Peinture femme djerbienne devant un menzel
Les murs blancs d’Erriadh constituent un vrai avantage. Le village s’étale comme un vaste terrain de jeu pour les graffeurs. Aucun thème n’a été imposé. Le seul impératif donné fut de travailler sur le lieu, son organisation et son passé. L’histoire de cette bourgade ne sera d’ailleurs plus jamais la même.
En panne ? Direction le réparateur de mobylette. Vous allez voir !
Les ruelles blanches et bleues d’Erriadh, qui n’étaient remarquables que par la jolie cohabitation des houch, bâtis traditionnels, et des bougainvilliers attirent désormais les regards du monde entier. Les touristes étrangers et tunisiens des villes voisines affluent pour l’instant au compte goutte. Mais à toute heure de la journée, les rues reçoivent les curieux de cet art populaire.
Le croissant et le compas ? Etrange symbole de la Franc Maçonnerie ?
Les enfants se transforment en guide. Les habitants bénéficient d’un dynamisme économique qui pourra leur être bénéfique. Rapidement va se poser la question de la conservation de cette œuvre collective. Les fresques, bestiaires, messages, légendes et graffitis n’échapperont pas aux méfaits du temps et de l’usure car l’humidité sur la chaux se fait déjà ressentir 4 ans plus tard.
Portrait du poète palestinien Mahmoud Darwish et portrait d'une femme juive d'Erriadh
Les organisateurs de l’événement n’y voient pas là un problème, mais une richesse. De nouvelles fresques viendront prendre place sur les anciennes, abîmées ou défraîchies, et le musée en plein air du village d’Erriadh bénéficiera ainsi d’une évolution perpétuelle.
Dès l'entrée d'Erriadh, un des plus anciens villages juifs de l'ile de Djerba, le silence, l'harmonie et la beauté des maisons surprennent. Chacune d'entre elles se différencie selon la personnalité ou l'humeur artistique de son propriétaire.. À l'inverse de Sidi Bou Saïd où le bleu omniprésent des portes et des fenêtres et le blanc uniformisé des murs lassent un peu, Erriadh ose la couleur.
Réparateur de mobylette
Ici, l'harmonie des ocres roses et des portes de bois simplement verni donne l'impression qu'une hacienda se cache derrière les murs. Les ruelles fraiches à l'ombre sont parfois traversées de promeneurs, souvent en habit de couleurs qui ajoute au charme de cette palette de peinte qu'est Errihad. Et puis de porte en porte, de ruelle en ruelle, on se laisse guider par l’odeur du jasmin et des bougainvilliers..Comment y résister...
DIAPORAMA DJERBAHOOD